Alessandra Montagne milite pour que le restaurant ne soit pas réservé à une élite
La chronique de Claude BaudryJANVIER 2017
La jeune cheffe du Tempero, née sous la dictature militaire au Brésil, a vu la misère et les inégalités. Aujourd’hui, elle met son caractère chaleureux au service d’une cuisine populaire mais savoureuse.
Alessandra Montagne accueille dans son petit coin de paradis avec une bonne dose de convivialité. Son restaurant, dont le nom, Tempero, signifie « épices » en portugais, est devenu une adresse qu’on se partage entre amis et que les guides Gault&Millau et Michelin ont déjà repérée. Ici, dans ce quartier peu fréquenté du XIIIe arrondissement de Paris, pas de produits chers. Pour la cuisinière, qui a grandi dans le pays des favelas, se nourrir et bien manger doivent rester accessibles à toutes les bourses.
Alessandra Montagne est née au Brésil, à Rio, sous la dictature militaire. Elle a vu la faim mais ne l’a pas connue. Élevée dans la ferme de ses grands-parents, dans un petit village sans électricité de l’État de Minas Gerais (capitale Belo Horizonte), la famille produisait les légumes, les céréales, la volaille, le sucre et même le pain. Sa grand-mère était couturière. « On n’achetait rien, on faisait tout à la ferme. Il fallait trouver les moyens pour conserver les aliments. » La jeune Alessandra apprend l’art de confire et la fumaison. Elle s’initie au « zéro gâchis », pratique la débrouille pour réparer ce qui tombe en panne. Quand la gazinière a remplacé le four à bois, ce fut un événement. « J’ai vécu ce que mes enfants ne connaîtront jamais », dit-elle fièrement.
Son enfance à la ferme lui a forgé un caractère de partage et de générosité qu’elle tient de son grand-père, un homme qui avait créé une association pour aider les gens dans le besoin. Sous la dictature militaire, c’était dur pour les plus pauvres. « L’absence de générosité est un défaut que je ne peux pas comprendre. Comment supporter les gens qui se plaignent de crouler sous les taxes foncières alors que plein d’autres dorment dans la rue ? », s’indigne-t-elle. C’est dans cet esprit qu’elle a grandi, dans cet esprit qu’elle accueille aujourd’hui dans son petit coin de paradis.
« On voulait donner un côté humain au lieu »
Devant un café et des petites pâtisseries maison, Alessandra dévoile son parcours. Institutrice au Brésil, elle traverse l’océan en 1997 pour parfaire son français à Paris, à l’université de la Sorbonne. Un an plus tard, elle se marie. Olivier, français d’origine vietnamienne, tient le Comptoir Tempero, leur autre adresse, à quelques centaines de mètres, sur le boulevard Vincent-Auriol. Cette fusion entre les cuisines française, brésilienne et asiatique se retrouve dans la cuisine d’Alessandra. Mais la jeune femme n’a pas épousé tout de suite les arts de la table. Elle est restée sept ans assistante de direction dans la recherche médicale. Ce sont ses amis qui l’ont poussée à ouvrir un restaurant. « Je cuisine depuis toujours, dit-elle, mais là, il s’agissait de changer de vie. »
Elle décide de passer un CAP de cuisine. Une révélation : « J’étais comme une gosse. » Elle entre en stage chez le chef étoilé William Ledeuil, au Ze Kitchen Galerie. Un bon début, et déjà l’influence des saveurs japonaises. Elle passera aussi quelques mois au Yam’Tcha d’Adeline Grattard, elle aussi toquée de senteurs asiatiques. Mais Alessandra poursuit sa route au gré des opportunités. Son professeur de cuisine lui annonce qu’une place se libère en CAP de pâtisserie. « J’ai pris ma décision en cinq minutes. La pâtisserie, c’est un autre monde. » Celui de la précision, de la rigueur.
Diplôme en poche, la voici aux côtés de Benoît Castel, un chef pâtissier passé chez l’étoilée Hélène Darroze, aux brasseries Costes puis La Grande Epicerie, où Alessandra fera son stage. Avec ces solides bagages et sa créativité, elle est prête à ouvrir sa table. Dans son quartier, un restaurant chinois est en vente… Il prendra les couleurs chocolat de Tempero. Décor tout simple mais chaleureux. La clientèle voit les plats se préparer en direct derrière la vitre de la cuisine où Alessandra officie. « On voulait donner un côté humain au lieu. Les gens ne viennent pas que pour manger. Ils viennent pour partager un moment de convivialité. »
« Je mange des œufs de poules élevées en plein air, pas en cage »
Et puis, pour Alessandra, habituée dès son enfance aux produits fermiers, le bio et le local sont ses règles. « Je mange des œufs de poules élevées en plein air, pas en cage. » Elle s’approvisionne auprès de producteurs locaux, n’hésite pas à acheter les fruits ou les légumes moins beaux mais tout aussi goûteux. « Je ne voulais pas que Tempero soit un restaurant réservé à une élite sociale. Pourquoi n’y aurait-il que les riches qui auraient le droit de manger au restaurant ? », soutient-t-elle.
Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, elle propose un joli menu entrée-plat-dessert à 21 euros (15,50 euros, entrée-plat ou plat-dessert). Le prix est à tout venant, pas les plats qui accrochent leur joli nom au tableau : velouté de topinambour/œuf parfait (cuit à basse température) ou croustillant de porc en entrée. Porc confit, céleri fumé (la vedette de la carte), risotto d’épeautre au shiitake (végétarien) ou bavette Angus, légumes et pomme de terre fumée en plat. Au dessert, le choix entre la panna cotta mangue-passion, la poire pochée glace gingembre, le thé ou café gourmand.
Quand le Tempero a ouvert, en 2012, le restaurant servait tous les midis et le vendredi soir. « Un jour, sous la porte, j’ai trouvé une lettre signée par des habitants du quartier qui me demandaient un soir d’ouverture supplémentaire. J’ai donc ouvert aussi le jeudi soir », raconte pudiquement la jeune femme. Mais Alessandra Montagne s’en tient là. Elle a bien assez pour vivre. Et pour prendre le temps d’aller courir quatre fois par semaine pour se préparer aux marathons et semi-marathons, son autre passion avec le jazz et l’opéra. La musique, pas le gâteau.
Tempero, 5, rue Clisson, Paris XIIIe, tél. : 09.54.17.48.88.
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La recette : Velouté de topinambours, huîtres, lard de Colonnata
Pour 6 personnes
Ingrédients : 1 kg de topinambours ; 3 échalotes ; 1 bâton de citronnelle ; 30 cl d’eau ; 50 cl de lait entier ; 6 huîtres numéro 1 ; 6 tranches ultra-fines de lard de Colonnata qu’on laissera dans un endroit tiède pour qu’il remonte un petit peu à température.
Préparation
Eplucher les topinambours et les mettre dans une eau avec du citron pour éviter l’oxydation.
Faire revenir les échalotes préalablement coupées en brunoise (très finement) avec la citronnelle coupée elle aussi.
Rajouter les topinambours et l’eau.
Laisser cuire pendant 20 minutes.
Une fois la cuisson finie, ajouter le lait.
Thermomixer vitesse 8 pendant 3 minutes.
Ouvrir les huîtres.
Dans un joli bol : dresser le velouté.
Poser les huîtres sur le velouté et disposer une tranche de lard par-dessus.
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Claude Baudry