Coupables, les journalistes ?
La chronique de Claude BaudryFÉVRIER 2017
Faut-il que le bateau de la droite tangue comme un frêle esquif en pleine tempête au large du cap Horn pour qu’un ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, en général plus posé, fasse, chez lui à Poitiers, huer les journalistes lors d’une rencontre publique de son candidat. Depuis les révélations du Canard enchaîné et de France 2, François Fillon et ses soutiens ont choisi leur cible : les journalistes, coupables de tous les maux.
Le candidat LR avait moins de gêne quand il posait en famille devant son château de Beaucé à la « une » de Paris Match que l’on ne peut, il est vrai, soupçonner de défiance à son égard. À ce moment-là, les journalistes, enfin ceux qui lui offraient ce reportage photo, n’avaient pas, pour lui, de mauvaises intentions. C’est que, voyez-vous, le candidat de la droite semble aimer la docilité et la révérence. « Si l’on a le droit d’exposer à l’envi les bonheurs visibles, pourquoi serait-on coupable de scruter l’autre face des vies, dans ces ombres où se passent des choses moins nettes ?, interrogeait Bruno Frappat dans La Croix de samedi. Là où s’échafaudent des plans pas très catholiques », ajoutait-il subtilement.
Quand la nouvelle n’est pas bonne,
on cherche à tuer le messager.
Depuis quinze jours, François Fillon dénonce le tribunal médiatique, ceux qui veulent l’assassiner politiquement, le lyncher… Quand la nouvelle n’est pas bonne, on cherche à tuer le messager. Ce n’est pas sans danger. Le Syndicat national des journalistes, dans un communiqué titré « Halte au feu, Monsieur Fillon », l’appelle à se ressaisir et à faire cesser ce « spectacle » indigne d’une démocratie. De son côté, le SNJ-CGT dénonce de tels comportements qui fleurent bon le retour à l’ordre et à la censure.
Deux ans après la tuerie contre Charlie Hebdo, ces appels à la haine contre les journalistes et les médias résonnent dangereusement pour la démocratie, pour le débat d’idées et pour le pluralisme, en pleine préparation des échéances électorales. Pour autant, il ne s’agirait pas de mettre tous les journaux et les journalistes dans le même sac. « Plus François Fillon est englué dans ses affaires familiales, plus certains médias dévoilent certaines dérives, plus le candidat des “Républicains” et du centre vomit sur les journalistes. Et plus il dénonce un prétendu lynchage médiatique et plus certains médias se vautrent dans la déférence », relevait le SNJ-CGT après la lettre aux Français de François Fillon publiée par Ouest France le 6 février.
Ce jour-là, Fillon avait besoin des journalistes… Hier matin, au micro d’Europe 1, le sarkozyste Christian Estrosi estimait, lui, qu’il aurait fallu interdire la manifestation de soutien à Théo à Bobigny, mélangeant sans nuance les manifestants et les casseurs. Haro sur les journalistes, haro sur les manifs, quel programme !
Claude Baudry